DOCERE

Marcelle Sauvageot

« La certitude que quelqu'un continue à aimer et à attendre, pour qui le reste n'est qu'un dérivatif momentané et sans pouvoir, est un grand bonheur pour un malade : il a la sensation que la vie qu'il a laissée s'est aperçue de son absence; il ne peut pas imaginer un avenir neuf; faible et souffrant de la rupture brutale avec le passé, ce qu'il demande à « plus tard », c'est de continuer en mieux ce qui était autrefois »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 6

« Il est vrai que je suis maladroite; je ne sais pas exprimer un sentiment; dès que j'en ai dit quelques mots, je me moque de moi, je me moque de l'autre, je détruis par une phrase ironique l'impression produite. C'est une méfiance de moi; c'est un étonnement de m'entendre dévoiler ce que j'éprouve comme le dévoilent tous les autres. Je m'écoute comme si c'était une autre personne qui parlait et je crois ne plus être sincère; les mots me paraissent gonfler mes sentiments et les rendre étrangers. »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 8

« J'ai peur de découvrir un jour que je n'aime pas et, d'avance, je fais naître des doutes sur mes sentiments, je redoute qu'on en vienne à m'accuser d'insincérité; alors je m'imagine mille circonstances où je suppose que mon amour fera défaut. »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 9

« La revanche ne vient pas ou vient trop tard, quand on a oublié. Elle serait bonne maintenant, car elle permettrait à l'amour qu'on a encore de se donner et de triompher peut-être. »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 11

« Et ce qui me fait souffrir, ce n'est pas tant la mort d'un amour que celle d'un être vraiment vivant que nous avions créé l'un et l'autre, que peut-être moi j'avais créé seule ... »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 28

« Le charme entre nous devait durer aussi longtemps que nous garderions l'inquiétude créée par l'ignorance que nous avions de notre image chez l'autre. »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 28

« En moi, il y a votre image qui occupe toute la place; pour que je ne souffre plus, il faut que vous partiez afin qu'un jour votre nom prononcé devant moi passe comme un souffle sans plus rien effleurer. »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 33

« Si vous avez envie de passer une journée entière à cracher dans l'eau pour faire des ronds, la femme qui vous aime restera une journée entière, sans rien dire, à vous regarder faire des ronds dans l'eau : elle sera heureuse parce que cette occupation vous plaira. Et si, tous les jours, vous avez envie de faire des ronds dans l'eau, cette femme, tous les jours, restera là à vous regarder faire. Vous avez ajouté que je ne pourrais rester ainsi. Je suis obligée d'avouer que non. Je tâcherais tout d'abord de dormir ou bien de faire moi-même quelque chose ; et, si ce n'était pas possible, je ne pourrais m'empêcher de vous dire que vous êtes bête et que vous feriez mieux de m'embrasser. Puis j'irais à côté de vous faire aussi des ronds dans l'eau, afin de faire ce que vous faites, et j'inventerais le jeu des plus grands ronds ou des plus petits. Est-ce que vraiment vous auriez pu rester à côté de moi à me regarder faire des ronds dans l'eau ? »

— Marcelle Sauvageot, Laissez-moi, éd. Flammarion, p. 36